
Le garage photographie invite le photographe Didier Ben Loulou en résidence à Marseille en 2012 et 2013 pour un travail photographique sur cette autre cité de la Méditerranée, à la rencontre de l’humain, pour mieux comprendre le rapport à l’autre dans ses enchevêtrements les plus complexes et contradictoires.
Didier Ben Loulou nous plonge dans l’Histoire de Marseille, toute de chair et de lumière. Il s’enivre de la vie qui en jaillit, partageant avec simplicité le quotidien des habitants de ces espaces à cheval sur la ville et sur la mer. Le photographe donne ainsi à voir 2 600 ans d’Histoire et un patrimoine en pleine mutation. Il s’approche au plus près des visages, des corps, immobiles ou en mouvement, jusqu’à ouvrir son regard sur l’infini.
Après une exposition au garage photographie dans le cadre de l’Année Capitale fin 2013, le photographe parle de son travail à l’occasion de la sortie du livre coédité par Le garage photographie et Arnaud Bizalion éditeur.
Après Athènes, qu’est ce qui t’a donné envie de travailler sur Marseille ?
ça a été tout simplement une opportunité. J’ai rencontré William Guidarini, que je connaissais depuis quelques années déjà, à Paris en 2011. Celui-ci m’a parlé de ce projet de résidence au garage photographie. C’était pour moi l’occasion de poursuivre mon travail en Méditerranée après Athènes, sur une ville, Marseille, à forte identité. J’ai tout de suite été emballé par l’idée.
Autre point important, un projet de résidence présenté “clé en main” : le garage photographie me permettait de travailler (frais techniques et logistiques pris en charge) et au final, une exposition et un livre venaient finaliser ce projet. C’est rare d’avoir l’opportunité de travailler dans un cadre aussi clair et précis !
Qu’est ce qui t’a intéressé à Marseille ?
C’est la population marseillaise qui m’a vraiment intéressé. Bien évidemment aussi les paysages, la nature, très présente et très belle, je pense notamment aux Calanques. Enfin les marseillais eux-mêmes. Et il y a ici cette espèce de métissage au quotidien, un «vivre ensemble» qui est assez particulier à cette ville.
Evidemment y a des tensions, des fractures sociales, de la misère, mais je ne sais pas si c’est le fait qu’il y ait la mer à Marseille, le fait qu’il n’y ait pas de banlieues mais des quartiers, ça m’a beaucoup interpellé et fait réfléchir en tout cas sur la capacité de cette ville à intégrer et à assimiler des populations diverses depuis des décennies, depuis que Marseille existe. Tout le monde est arrivé un jour avec sa valise et s’est construit une nouvelle vie dans cette ville. C’est très touchant et très intéressant.
Quelle a été ta démarche de photographe ici à Marseille ?
C’est un travail qui s’est fait par étape : il y a eu 4 résidences. Je pars au hasard, je prends le bus, le métro, j’essaie d’appréhender la ville, de mieux la connaître, de me laisser surprendre. C’est une errance à travers cette ville, à travers ses quartiers. Il y a bien sûr des endroits sur lesquels je reviens car je suis plus fasciné par certains éléments de cette cité.
J’essaie d’être dans une démarche photographique qui prend en compte plusieurs notions : l’aspect péri-urbain, le paysage, l’architecture, le portrait, sans travailler de manière monolithique sur une approche en particulier. Je rassemble tout ça pour donner une vision intemporelle et subjective, sortir l’âme de cette ville par ses différentes facettes.
Au contact de la population je parle très peu, je n’en ai pas besoin, je photographie à l’arraché. Je ne marche qu’à l’instinct.
Ce projet s’est donc finalisé par une exposition et un livre qui sort en 2014. Je crois que tu es attaché au livre photo, n’est-ce-pas ?
Oui, tout à fait. Il y a donc eu une exposition au garage photographie en fin d’année 2013 dans le cadre de l’Année Capitale, une exposition présentant une cinquantaine de tirages Fresson, procédé ancien auquel je suis fidèle depuis plus de 30 ans.
Puis par l’édition d’un livre co-édité par Arnaud Bizalion éditeur et le garage photographie. J’accorde en effet une grande importance à l’objet livre, c’est ce qu’il y a pour moi de plus pertinent, plus même qu’une exposition d’une certaine manière. C’est comme un socle. La finalité d’un travail pour moi ne peut exister qu’à travers le livre. Sans édition il n’y a pas de trace du travail ou alors il est pour moi très abstrait et confidentiel.
A chaque fois que je fais un livre cela doit être une véritable nécessité. Je ne veux pas faire de livres pour faire des livres, ni exposer pour exposer. Ce qui est important c’est de faire un livre au moment ou c’est essentiel. C’est le cas du Marseille qui vient exactement au moment où il faut.
Combien de livres ont été édités sur ton travail ?
Jaffa, la passe (Ed. filigranes) ; Jérusalem (Ed. Panama) ; Athènes (Ed. La Table Ronde) ; Marseille (Arnaud Bizalion éditeur) sont des livres qui comptent. Et entre les livres il y a de petites publications, des petits ouvrages qui viennent ponctuer un parcours photographique sur les 30 dernières années. Pour ce qui est du livre sur Marseille, je tiens à souligner que je suis très heureux de collaborer avec un éditeur local, en l’occurrence Arnaud Bizalion qui, en plus de son expérience dans l’édition, est à même de comprendre le propos d’un auteur sur cette ville, et sans doute plus concerné que quiconque par ce projet.
Comment as-tu travaillé pour la réalisation de ce livre avec l’éditeur et le garage photographie ?
Et bien je vais vous faire une confidence : habituellement je fais toujours moi-même mon chemin de fer (le déroulé des images au travers d’un livre), comment on va regarder les images, les vis-à-vis, etc. Et pour la 1ère fois donc pour le livre Marseille, j’ai envoyé ma proposition à William et Arnaud, celle qu’il me semblait qui devait être acceptée, et quelques jours plus tard ils me disent : on a repris l’ensemble de ta proposition, on a tout mis à plat et on te propose autre chose ! Donc c’était plutôt une surprise car habituellement je n’aime pas déléguer ce genre de chose mais je me suis dit, finalement, lâche prise et fais confiance à des gens de Marseille, qui ont un regard, une expérience, une sensibilité et tout ceci va peut-être faire émerger des éléments qui ne m’étaient peut être pas venu à la conscience. Et finalement, c’est une très bonne surprise !
Je dois dire aussi que c’est la première fois que j’écris autour de mon travail. J’écris depuis des années, j’aime écrire, je trouve que c’est important de poser par écrit des réflexions autour de son travail, à côté des images, en perspective.
Habituellement je fais appel à des écrivains (philosophes, poètes, etc.) pour accompagner les images de mes livres et là pour la première fois pour Marseille j’ai réuni un certain nombre de notes qui vont être reprises dans le livre et je suis très fier de ça. C’est la première fois. Il y a un enjeu qui est différent : ce ne sont pas que des images qui sont montrées, il y a ce contrepoint presque musical que sont ces notes très personnelles sur cette ville, des impressions, des réflexions, une manière de percevoir le réel. C’est une autre focale, celle de l’écriture, qui vient en parallèle des images.
En tout cas j’ai hâte de voir le résultat et je crois qu’on s’est donné tous les moyens pour faire un très très bel ouvrage.
Comment s’effectue la sélection des images pour un livre ?
La sélection s’est faite tout d’abord pour l’exposition. Il y a des images qui s’imposent très rapidement, et ce à chaque résidence. Se forme ainsi un noyau dur sur lequel on va ensuite raccrocher des images qui ont leur sens dans une histoire.
Au départ je ne sais jamais quelle histoire je vais raconter. Lorsque je suis parachuté dans un lieu comme Marseille, une ville que je ne connaissais pas très bien au départ, je ne sais pas trop comment je vais travailler. Je savais que j’avais envie de quelque chose de plus paisible par rapport à ce que j’avais pu faire jusqu’alors, quelque chose de reposant, de sérénité, de calme.
Marseille a cette ouverture sur la mer, et cette nature m’a permis d’aller dans ce sens. Bien sûr je reste quand même très proche de l’humain mais dans un rapport plus flottant puis climatique lié au paysage.
On sent quand même dans ton travail une manière récurrente de percevoir la réalité et de la restituer..
Oui mais je veille malgré tout à ne jamais me répéter. Je trouve que chaque ville a ses enjeux, sa propre identité. C’est en se mesurant à cette propre identité qu’il faut extraire quelque chose de différent, des images différentes même si on a une grammaire visuelle bien installée. Ce que j’ai fait à Athènes par exemple je n’ai pas envie de le refaire à Marseille. Je trouvais que travailler sur le paysage à Marseille c’était une envie de départ et je crois l’avoir gardée, ce quelque chose lié à la nature, aux confins de la ville.
Comment t’assures-tu de la bonne restitution de la couleur, très présente dans tes images, dans les livres que tu fais ?
Pour moi il y a d’un côté le tirage que je vais exposer, et de l’autre le livre constitué d’images reproduites à partir de la diapo (je bosse en argentique) via une photogravure assurée par Daniel Regard avec qui je travaille depuis mes débuts. Il est pour moi important qu’il y ait une différence entre les tirages et le livre. Ce sont deux supports distincts.
La sortie du livre est prévue pour quand ?
Fin du mois de mai, avec plusieurs temps forts, à Marseille en juin et en Arles en juillet à l’occasion des Rencontres de la Photographie.